La surexposition de la population française au cadmium présent dans les denrées alimentaires courantes comme les céréales ou les pommes de terre a récemment fait l’objet d’une alerte par les médecins libéraux, répercutée par de nombreux médias. Depuis sa création, le Laboratoire Sols et Environnement mène des recherches pour répondre aux questions soulevées par la contamination des sols par ce métal en traces très toxique pour tous les organismes.
Evaluer la contamination des sols par le cadmium, son origine et son évolution
Les travaux du LSE ont porté sur l’évaluation de la contamination des sols par le cadmium, en se basant sur ses lois de distribution dans les sols [1-3]. La teneur des sols en cadmium dépend essentiellement de celle de la roche mère, des retombées atmosphériques dues à la pollution industrielle et urbaine depuis plus d’un siècle et des apports agricoles pour la fertilisation et le recyclage des déchets. Le fractionnement des isotopes naturels du cadmium a été pour la première fois utilisé au LSE en collaboration avec le CRPG (UL-CNRS) pour tracer les sources de pollutions industrielles de ce métal [4]. Les flux de cadmium ont récemment été mesurés dans des sols agricoles et forestiers de Lorraine, fournissant des données précieuses sur les sorties du métal avec les eaux percolant dans les sols [5]. Un modèle de bilans de flux de cadmium dans les sols potagers a été validé en utilisant la culture potagère menée depuis plus de trois siècles au Potager du Roi à Versailles [6]. Ce modèle a permis de faire des prédictions sur l’évolution à moyen et long terme (siècle) des teneurs en cadmium dans les sols agricoles et potagers, selon différents scénarios [7, 8]. C’est sur ce type de simulations que sont préconisées les teneurs limites en cadmium dans les matières fertilisantes [9].
La biodisponibilité du cadmium dans le sol
Le LSE s’est beaucoup intéressé à l’évaluation de la biodisponibilité du cadmium, entendue comme la quantité du métal du sol susceptible de passer de la phase solide à la phase liquide où il est absorbé par les êtres vivants, en particulier les racines. Pour cela, le laboratoire a développé une méthode de dilution isotopique, utilisant des isotopes stables ou radioactifs [10, 11]. Cette technique a permis d’évaluer la disponibilité du cadmium dans différentes conditions édaphiques mais également d’évaluer l’effet des racines elles-mêmes sur la disponibilité du métal [12-14]. Il a ainsi été montré que le cadmium naturellement présent dans les sols d’anomalies géochimiques pouvait être tout aussi disponible que celui de pollutions anthropiques, et que certaines espèces végétales auraient tendance à augmenter la disponibilité du métal, par l’action de leurs racines.
Prédire le prélèvement du cadmium par la plante
Ce besoin s’est imposé dès le début, dans le contexte de la production alimentaire comme dans celui de la phytoextraction du métal pour la remédiation des sols. Le LSE a choisi de la traiter à partir d’une modélisation mécaniste, envisagée à la fois comme outil de recherche pour tester des hypothèses que comme, à terme, outil d’aide à la décision. Dans cette approche, il a bénéficié de la collaboration de de Christian Moyne du LEMTA (UL - CNRS) et de l’équipe BIONET de l’unité ISPA (INRAE à Bordeaux). La modélisation du prélèvement racinaire a été envisagée comme un transport réactif par diffusion et convection dans le voisinage des racines (la rhizosphère) [15, 16]. Elle a montré que la spéciation dynamique du cadmium dans la rhizosphère, et notamment sa complexation par les ligands organiques était primordiale pour prévoir son prélèvement par les racines [17-19]. Le cadmium étant principalement absorbé sous sa forme cationique (Cd2+), sa complexation par certains composés organiques réduit normalement la disponibilité du métal pour les racines, mais de façon variable, selon la capacité du complexe à se dissocier au voisinage des racines. En outre, on ne peut exclure que dans certaines situations, la complexation augmente le prélèvement de cadmium par la plante [20-23]. La capacité des molécules exsudées par les racines à réagir avec le cadmium fait l’objet des recherches actuelles, tant théoriques qu’expérimentales. C’est ainsi que le LSE est parti à la recherche des ligands du cadmium en empruntant une approche métabolomique des exsudats racinaires [24].
Vers la remédiation des sols pollués
Pour prévoir l’accumulation du cadmium par la plante, le LSE a caractérisé les propriétés d’absorption des racines vis-à-vis de cet élément [25-27]. Récemment et pour la première fois, la thermodynamique hors équilibre a été utilisée avec succès pour modéliser l’accumulation du cadmium par le maïs [28]. Mais comment dépolluer les sols contaminés par le cadmium ? A cette question ancienne, le LSE a essayé de répondre en testant la phytoextraction par des espèces hyperaccumulatrices de ce métal, en particulier la crucifère sauvage Noccaea caerulescens, espèces dont de nombreuses populations sont présentes naturellement en France [29]. Le LSE a prospecté les stations de cette espèce pour en prélever de nombreuses accessions, les phénotyper et en étudier l’écologie et l’écophysiologie [30-42]. Elles ont été testées sur des sites industriels et des sols cultivés [43]. Malheureusement, si la plante présente un potentiel d’accumulation très important, elle ne produit pas assez de biomasse pour permettre une dépollution dans un temps raisonnable [44]. Les travaux du LSE dans le domaine de la phytoextraction ont permis cependant de définir l’idéotype qui serait nécessaire pour une phytoextraction du cadmium des sols de grande culture [45, 46]. Reste aux généticiens et améliorateurs des plantes à le concevoir. Dans l’attente d’une telle innovation, mais aussi de la sélection de cultivars de céréales qui accumulent moins le cadmium, il convient de réduire les teneurs en cadmium dans les fertilisants, en particulier dans les engrais phosphatés.
Contact : Thibault Sterckeman, IR INRAE, UMR LSE
Références :
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